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La Tourbière de Sèves

Après 80 années d'exploitation, la plus grande carrière de tourbe de France cesse son activité en décembre 2026. Le Parc naturel régional des Marais du Cotentin et du Bessin accompagne les acteurs du territoire dans la nécessaire adaptation à une submersion annoncée, à la croisée des enjeux actuels cruciaux : changement climatique, protection de la biodiversité, préservation quantitative et qualitative de l’eau dans les sols, sauvegarde de la profession agricole, attractivité des territoires ruraux.

La Tourbière de Sèves (anciennement nommée Tourbière de Baupte ou Tourbière de Gorges) fait partie du grand ensemble de marais sur sol tourbeux qui occupe les vallées de la Taute, de la Sèves et du Gorget, au cœur du Parc naturel régional. Dans ce périmètre de 2 117 ha, on estime à 24 millions de m³ le volume de tourbe extrait au sein de la carrière, située à Baupte.

Cette activité d'exploitation de tourbe a tenu localement un rôle économique et social important. Les pompages d’eau nécessaires à l’extraction ont permis d’étendre les terres agricoles au bas-pays et de favoriser le développement d’activités de loisirs.

Elle a cependant détruit des milieux naturels précieux et occasionné une profonde modification du sol sur un vaste périmètre. La tourbière, éponge naturelle pour conserver l’eau et le carbone dans les sols, est devenue émettrice de gaz à effets de serre – de l’ordre de 6 millions de tonnes depuis les débuts de l’exploitation.

La fin d'activité de la carrière est l'opportunité pour le territoire de s'engager dans une reconversion choisie, servant aussi bien les objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effets de serre, de préservation de la ressource en eau et de la biodiversité, que les intérêts économiques locaux étroitement liés.

Carte Torubières de Sèves

Éléments clés

 

  • 2 117 ha périmètre du territoire d’étude de la zone impactée réparti en 2022 en 480 ha de plan d’eau, 1350 ha de surface agricole, 183 ha de carrière en exploitation et 104 ha de terrains non agricoles
  • Superficie du plan d’eau estimé post 2026 : de l’ordre 800 ha, soumis à variations saisonnières, les contours sont à préciser
  • Exploitations agricoles concernées : 57 dont 29 vont perdre de la surface
  • 5 communes impliquées : Gorges, Auvers, Montsenelle, Le Plessis-Lastelle, Baupte
  • Commune la plus impactée : Gorges
  • Commune la moins impactée : Baupte

 

  • Espèces végétales patrimoniales (2005-2016) : 15 (33 connues historiquement)
  • Espèces nicheuses : 50 dont 33 d’oiseaux d’eau
  • Oiseaux en migration pré-nuptiale : 12 000
  • Oiseaux en hivernage : 14 000 , dont environ 6 500 canards  
  • Stocks de carbone dans les sols tourbeux connus en 2022 (inventaires en cours) en millions de tonnes : France 150 Mt, Cotentin 21,5 Mt, Tourbière de Sèves : 4,4 Mt
  • Densité moyenne de la tourbe en carbone : 700 tonnes par hectares et par mètre

Un projet de territoire

Devant les enjeux liés au changement climatique et dans la perspective d’arrêt de l’exploitation industrielle de la tourbe et des pompages en 2026, le Ministère de la Transition Écologique a mandaté une mission d’écoute des protagonistes début 2021. Le Préfet de la Manche, dès les conclusions de cette délégation, a impulsé un projet concerté de reconversion dont le pilotage a été confié au Parc naturel régional des Marais du Cotentin et du Bessin. Depuis plus de dix ans, plusieurs tentatives pour imaginer un devenir à cette zone avaient été conduites, sans qu’un accord ait été trouvé entre les acteurs locaux dont les intérêts divergeaient.

Le comité de pilotage a arrêté en décembre 2022 les objectifs suivants pour guider l'adaptation du territoire dans ce projet engagé pour plusieurs années :

  • Maintenir les usages actuels et notamment l’agriculture pour la conservation des milieux ouverts et le soutien à l’élevage,
  • Stopper les émissions de CO2,
  • Contribuer au développement durable local,
  • Favoriser le stockage de CO2 par la reprise des processus de formation de la tourbe,
  • Préserver cet espace sur le long terme.

Un comité opérationnel construit et propose les actions pour l'adaptation des usages, la mise en valeur future et l'accompagnement scientifique du processus. Ainsi, un plan d'actions pour la compensation foncière et financière des exploitations agricoles sera déployé à partir de 2023.

A l'origine de la Tourbière de Sèves

La Sèves est une rivière de 33 km de long, dont les eaux rallient le fleuve Douve et rejoignent la mer dans la baie des Veys. Des accidents géologiques anciens et récents (à l'ère Tertiaire) en ont façonné le cours et sont à l'origine d'un affaissement naturel des terrains dans sa partie amont. Elle se caractérise ainsi par une forte sinuosité et un lit en pente faible, entraînant un écoulement très lent en période de basses eaux.

Le pincement géologique formé au niveau de la commune de Baupte a favorisé la stagnation naturelle de l'eau dans cette cuvette. C'est dans cette large vallée que s'est donc formée l'une des plus grandes tourbières d'Europe occidentale sur plus de 1 500 ha, la Tourbière de Sèves. L'épaisseur de la tourbe (encore appelée "puissance" de tourbe) dépasse par endroit les 12 mètres. Cela signifie que pendant plus de 12 000 ans, les débris végétaux s'y sont accumulés dans une lame d'eau quasi permanente bloquant leur décomposition, pour constituer ce type de sol si particulier.

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La Sèves, à la confluence avec Le Mouloir (© FDC50 - 2023)

 

L'exploitation industrielle propice à l'essor d'autres usages

Les propriétés combustibles de la tourbe ont été découvertes par les premiers habitants des marais, qui l'ont dès lors utilisée comme moyen de chauffage. Son exploitation domestique, déjà restreinte, s'est éteinte au fil du temps avec le développement d'autres sources d'énergie. La Première puis la Seconde Guerre Mondiale ont cependant été à l'origine d'un regain d'exploitation, qui a pris un tournant industriel en 1943.

La carrière de tourbe de Baupte a ainsi vu le jour, sur les communes de Baupte, Gorges, Auvers, Le Plessis-Lastelle et Montsenelle. Dans les années 1950, le charbon redevient le combustible usuel. Le gisement tourbeux est alors exploité pour la production d'engrais en mélange avec des algues. A partir du milieu des années 80, la tourbe redevient source de combustible pour plusieurs industries pharmaceutiques et agro-alimentaires qui se succèdent sur le site. Depuis 2015, la société Florentaise est autorisée à étendre l'exploitation sur 183 ha pour la production de terreaux et de supports de culture horticole.

Cette exploitation a débuté hors d’eau grâce à un dispositif de pompage dès la fin de l'hiver, afin d'évacuer plus rapidement l'eau des marais blancs. La tourbe peut aujourd'hui être extraite avec un taux d'humidité plus important, mais les pompages s'avèrent toujours nécessaires pour cette activité selon l'intensité des pluies. Ils ont favorisé au fil du temps la constitution de pâtures herbagères et de fauche au sein d'un ensemble plus vaste, la tourbière de Sèves. Ces dernières sont exploitées sur environ 800 ha par une cinquantaine d'éleveurs. Au cours de ces dernières décennies, l'excavation du sol a généré un vaste plan d'eau qui occupe aujourd'hui une superficie de plus de 400 ha, pour un profondeur maximale de 5 à 6 mètres.

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Évacuation des eaux de pompage dans un canal rejoignant la Sèves (© PnrMCB 2023)

 

Des conséquences considérables sur le réchauffement climatique et la biodiversité

La tourbière de Sèves, au cœur de laquelle est exploitée la carrière, est une zone humide d'intérêt écologique majeur. Elle conserve de son passé avant exploitation des végétations tourbeuses riches en espèces protégées. Elle constitue un site ornithologique remarquable tant pour les espèces nicheuses que pour les grands migrateurs, pour lesquels le plan d'eau est très attractif. Elle est labellisée dans le cadre de la convention internationale Ramsar depuis 1999. Dans le réseau Natura 2000, elle fait l’objet d’un classement en zone de protection spéciale (ZPS) au titre de la directive européenne oiseaux et en zone de spéciale de conservation (ZSC) au titre de la directive européenne habitats-faune-flore.

Cependant, l'industrialisation a fortement détérioré les sols : la tourbe, asséchée par les pompages, s’affaisse sous l'effet de sa dégradation à l'air libre. Elle se transforme : d'une masse spongieuse, mêlant éléments grossiers et débris de végétaux millénaires quasi intacts, en une poudre fine proche du marc de café. Cette dernière, comme les limons, devient imperméable, sans possibilité de restauration. Cette modification de la topographie affecte les usages : des failles apparaissent, dangereuses pour les hommes et les animaux. Les prairies, très accidentées, ne peuvent plus être fauchées et perdent ainsi en qualité écologique et agronomique.  

Enfin la tourbe possède une très forte densité en carbone, de l’ordre de 1 400 tonnes par hectare. Sa décomposition à l'air libre cause l’émission dans l’atmosphère d’une grande quantité de CO2, un des principaux gaz à effet de serre responsable du réchauffement climatique.

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A gauche, tourbe en très bon état de conservation extraite sur la RNN de la Sangsurière
A droite, tourbe entièrement minéralisée sur la Tourbière de Sèves (© PnrMCB 2023)

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